L’amour en temps de guerre dans « Terre ceinte » de Mohamed Mbougar Sarr

Terre ceinte est un roman bouleversant qui a valu à Mohamed Mbougar Sarr le Prix Ahmadou Kourouma en 2015 et le Grand Prix du Roman Métis. Il est imprégné d’amour malgré le contexte de guerre décrit.  D’ailleurs, il commence par une scène présentant deux jeunes mis à mort sur la place publique pour s’être aimés. La violence qui est rapportée dans ce texte est pratiquement insoutenable. Pourtant, grâce à l’amour qui anime le cœur et les actions, l’espoir règne du côté des victimes. 

L’amour conjugal

Deux personnages marquants représentent parfaitement l’amour conjugal dans Terre ceinte. Il s’agit de Ndey Joor Camara et de son époux Malamine. Ensemble, il forme un duo attachant, uni et saint. Ils expriment l’un pour l’autre tout ce qu’on entend de l’« amour ». En effet, ils sont attentionnés et se respectent. Ils se protègent mutuellement. Plusieurs scènes racontées par l’auteur présentent des preuves particulièrement touchantes de leur amour. La plus émouvante est certainement celle au cours de laquelle, Ndey Joor Camara s’interpose pour sauver Malamine d’une mort certaine.

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Mais, cet amour est également représenté par un autre couple courageux :  Codou et Déthié. Dans leur combat contre la répression menée par la Fraternité, ils avaient gardé leur sang-froid jusqu’à la destruction de ce qui symbolisait leur amour. Ils n’envisageaient plus l’inaction après avoir assisté à la mise en cendre du lieu où ils s’étaient rencontrés et avaient commencé leur histoire d’amour. « Je me battrai avec toi. Cette bibliothèque qu’ils ont détruite était le foyer de notre amour, te souviens-tu ? » (P. 321) disait encore Codou à son mari. Cet acte avait entraîné une riposte maladroite qui permit leur capture.

L’amour familiale

Le développement du sentiment amoureux au sein de la famille est important pour le règne de la paix, de la sérénité et de la sécurité dans un foyer. Cependant, cet amour doit être guidé par une vision commune. Celle-ci est portée dans la famille de Malamine par une foi religieuse humaniste. Elle fait passer le bien-être de chaque membre de la famille avant toute chose. Ndey Joor exprime cette forme d’amour lorsqu’elle décide d’envelopper sa fille Rokhaya avec son corps pour lui éviter les coups de fouet administrés par ses bourreaux.

Cependant, la cellule familiale n’est pas toujours à l’abri de quelques surprises. Les influences extérieures peuvent négativement affecter l’amour que les parents souhaitent transmettre à leurs enfants. Autrement dit, en côtoyant d’autres personnes, les enfants peuvent découvrir une autre forme d’amour qui présentent des valeurs opposées à celles des parents. C’est ce qui arrive entre Ismaïla et ses parents.

Le fils aîné de Ndey Joor se laisse happer par les convictions religieuses de la Fraternité et s’éloigne des siennes. Toutefois, avant de quitter la cellule familiale pour rejoindre les rangs de ce groupe d’extrémistes, il lance quelques mots d’attachement à l’endroit de son père. « Adieu, papa. Allah te garde, et vous garde tous. Dis à maman que je l’aime » (p. 283) dit-il dans ce sens.

L’amour religieuse et idéologique  

L’amour religieux s’exprime par une foi inébranlable en une divinité. Dans Terre ceinte, il est porté par les adeptes de la religion islamique. Mais, dans cette œuvre, deux camps se démarquent. D’un côté, il y’a les modérés et d’un autre on trouve les extrémistes ou les radicaux. Dans les deux cas, l’amour envers Allah est exprimé et exalté. Par ailleurs, chez les extrémistes, il est difficile de parler véritablement d’amour. Il serait plutôt question de fanatisme radical. Ce sentiment démesuré envers le créateur est exposé pour justifier les actes sanglants et violents. D’ailleurs, ils les commettent au nom de Allah et avec sa bénédiction. Il est défendu par le radicalisme qui est l’idéologie qu’ils défendent.   

Au nom d’un amour profond pour Allah, les membres et les adeptes de la Fraternité tuent et répriment les personnes qui ne se soumettent pas à Dieu selon leurs principes.  Conscient de l’injustice et du mal caché derrière le fanatisme religieux, Malamine essaie de raisonner son fils Ismaïla en ces termes : « Je ne remets pas en cause ta dévotion. C’est une voie noble, et si ton cœur t’incline à suivre cette voie, je n’ai aucun droit de m’y opposer. Mais si l’amour de Dieu doit te faire oublier l’amour des tiens, devenir dévot est un crime. Aimer Dieu, c’est aimer les hommes, et non se séparer d’eux. » (p. 274) déclare Malamine à Ismaïla

Dans le camp opposé à la Fraternité, on trouve le groupe des sept qui se sont engagés pour dire non aux exactions criminelles et à la barbarie de la Fraternité. Ainsi, Malamine, le Vieux Faye, Père Badji, Déthié, Codou, Madjigueen Ngoné,  Alioum, se sont réunis pour créer un journal nommé Rambaaj. Cette appellation fait référence à la cave du Jambaar gérée par le Vieux Faye. Dans leur union, un amour engagé se prononce et se traduit par des actes de solidarités, de sincérité et par un profond respect des uns envers les autres.

Mohamed Mbougar Sarr (2017), Terre ceinte, Présence Africaine, Paris, pp 354